Breiz Atao
La découverte...
Rennes, novembre 1924
La librairie Robert était une minuscule boutique attenant où presque à la brasserie de la marine.
Jamais auparavant je ne l'avais remarquée.
Tiens,tiens !
Un carton à la vitre : "On trouve de tout en Bretagne, même des bretons . On les reconnait à ce qu'ils lisent Breiz Atao .
Aucun doute c'est là.
J'entre le coeur battant et fais ma demande de mon ton le plus naturel qui dans la circonstance, était aussi le plus artificiel.
Le petit vieux me répond affirmativement, atteint un numéro , le roule en toute quiétude et l'enveloppe d'un papier blanc.
Me voici à la rue, mon rouleau à la main.
Je ne vois plus ni le ciel ni la terre mais seulement ce rouleau blanc qui me possède des pieds à la tête.
Jamais aucune fée n'a senti autant de pouvoir dans la baguette qu'elle tenait à la main.
Tant de pouvoir et aussi tant d'anxiété : ce qui est écrit là-dedans, est-ce bien ce que je veux ?
Ces gens de Rennes où on ne parle plus le breton, ces gens de Rennes qui veulent une Bretagne libre, entendent-ils bien par là une Bretagne faisant bonne place à la langue bretonne?
Je veux être fixé tout de suite mais je ne puis tout de même pas déflorer le rouleau dans la rue, devant ces passants étrangers.
Non,non ! à la maison, seul ! Pas de spectateurs contraints de mes triomphes où désillusions <...>
Je m'entends dire : mon Dieu ! Si c'est ce que je pense, alors c'est toute ma vie que je tiens entre mes mains...
Ai-je parlé où a-t-on parlé ? Je ne sais.
Mais maintenant c'est moi qui répond avec ferveur : Oui, c'est vrai ! C'est toute ma vie qui est là entre mes mains !
Je vole dans les airs.
D'une haleine je franchis les quatre étages qui conduisent à la chambre-mansarde que je partage avec mon frère Francis.
Je m'installe dans ma fenêtre à moi.
La mer, Plougastell et l'île ronde, le menez Hom, mon pays est là luisant et dégagé, devant moi, avec moi.
Il est la seule compagnie que je tolère à une heure aussi solenelle .
Tremblant et fiévreux, je déploie respectueusement le rouleau en murmurant des prières machinales.
Voilà la couverture noire et verte sur fond blanc.
Je la tourne.
Mon coeur saute dans ma poitrine...ça y est !
ça y est : du breton dès la première page !
Rien à craindre désormais !
Je n'essaie pas de lire, ce serait trop long.
Je saute aux articles en français...
C'est celà ! exactement celà.D'un bout à l'autre ! Dieu soi loué !
Le tonnerre aurait pu tomber que je n'en aurais fait aucun cas.
Voilà comment, à l'age de seize ans révolus, je fis la connaissance de Breiz Atao.
Célestin Lainé - Autobiographie 1946
source : Sébastien Carney
Breiz Atao !
pages 125/126